Présentation du travail

Figure de l’archétype
Mon travail artistique a pour point de départ mon vécu personnel à travers des situations ou des émotions liées au présent ou au passé. Ces situations concernent généralement la construction de soi, la notion d’identité et la difficulté d’exister. Ce qui m’intéresse est de créer des liens entre ma propre histoire (ou celle de proches) et une histoire collective qui participerait, telle que Jung l’a nommé, de « l’inconscient collectif ». C’est pourquoi je crée des personnages archétypaux pour élaborer mes mises en scène photographiques ou mes mises en espace lorsqu’il s’agit d’installation. Dans ma première série « Errance dans les lieux désaffectés », le personnage archétypal est la jeune fille en chemise de nuit blanche que j’ai volontairement fait incarner par différentes personnes de mon entourage afin de mettre en avant le personnage et non la personne réelle. De même, pour « Les lieux de l’hystérie » le personnage archétypal est celui de la femme en colère, hystérique, incarnée par différentes femmes.

De manière différente, j’ai suivi un principe similaire dans l’installation « Chez mémé ». Après avoir interviewé ma grand-mère, j’ai choisi de garder les moments où elle chante face à la caméra les romances et chansons écoutées durant sa jeunesse. Cela renvoie  le personnage à une dimension collective à travers la chanson populaire tout en utilisant une donnée propre à ma grand-mère qui est sa passion pour le chant. Ainsi ce qui m’intéresse est la façon dont l’individuel sert à questionner le collectif.

Questionner l’image
D’un point de vue formel, mon travail utilise toujours la photographie et l’image photographique à l’exception de l’installation sonore « Je suis née ». Celle-ci est constituée d’interviews de femmes de 20 à 60 ans qui racontent comment elles se sont construites en tant qu’individu et en tant que femme. Pour cette installation, j’ai volontairement aboli les images afin que leur pensée, leur intimité, leur parole, ne soient pas liées à un physique particulier sur lequel le spectateur élaborerait forcément des jugements stéréotypés. C’est aussi une façon de donner la parole à une catégorie d’individus dont les représentations photographiques normalisées ne cessent d’envahir l’espace public et les esprits. Leur identification se limite à des critères extérieurs et informatifs tels que leur prénom et leur lieu et date de naissance. Bien que cette installation soit dépourvue d’image, c’est l’absence d’image face à ces voix qui questionne l’image photographique en tant qu’image parasite et véhiculaire de stéréotypes sociaux.
Je reprends cette thématique de l’image publique à travers la série « Paysages Urbains » qui met en scène des personnages dans la rue en écho avec des images publicitaires.
Mon travail consiste également à explorer la photographie en utilisant la projection de diapositives dans mes mises en scène photographiques. Ainsi l’image projetée sur un objet et le tout photographié provoquent une interrogation sur le statut de la photographie autant que sur la signification de la mise en scène, comme dans ma série « Les lieux de l’hystérie ». Ici, un lien est créé entre la notion de projection d’un point de vue technique et d’un point de vue psychologique.

La photographie comme simulacre
En réalisant des mises en scène photographiques, je mets en place un dispositif qui consiste à dire « cela s’est passé » mais également et dans le même temps « tout cela est faux » (faux personnages, comédiens ou modèles déguisés, dispositif préétabli, lieux scénographiés etc…). De ce fait, la mise en scène permet une sorte de distanciation face au monde réel afin de pouvoir exprimer ce monde.
En tant que médium populaire, la photographie possède également ses propres codes de mise en scène comme la photo de famille où chacun se doit de poser en regardant l’objectif avec sourire quasi obligatoire. J’ai exploré ce thème dans les photographies « Comme des images » dont le titre fait référence à l’expression « être sage comme une image ». J’ai demandé à des jeunes filles de mon entourage de poser affublées d’une robe de princesse rose. Leur pose ou sourire forcé prend alors un aspect inquiétant.
Dans les « Paysages urbains », des scènes de rue sont reconstituées à l’aide de modèles que j’ai fais poser dans la rue dans des poses ou situations courantes. Chaque scène est photographiée séparément puis reconstituée sur Photoshop. Les perspectives en deviennent géométriquement fausses mais le réalisme photographique et l’application de la retouche leur confèrent une réalité naturelle.

Les installations
L’exploration du médium photographique m’a amenée à réaliser des happenings, performances et installations en lien direct avec la notion d’image photographique et de son mode de présentation. Ainsi, dans l’installation « Chez mémé » les photographies récupérées dans les archives familiales du salon de la grand-mère indiquent que le seul élément subissant un changement est le papier peint. Les photographies se sont alors transformées en un immense papier peint présenté en trompe l’œil photographique représentant le salon de « mémé » comme épluché et laissant apparaître les papiers peints des différentes époques traversées. De même dans l’installation « Mélanger les serviettes et les torchons », l’espace était envahi de serviettes et torchons accrochés à du fil d’étendoir et sur lesquels avaient été imprimées les photographies rouges de femmes en colère. Ainsi dans mes installations l’image est souvent détournée et réinvestie dans un jeu entre réalité et représentation.

Claire Malen